L’exposition de bande dessinée constitue aujourd’hui une manifestation identifiée par le public et légitime au sein de l’agenda culturel. La question ne se pose plus de savoir s’il faut exposer la bande dessinée ; elle peut être désormais remplacée par une nouvelle interrogation : Pourquoi et comment exposer la bande dessinée ?
Pour y répondre, on peut exposer les bandes dessinées des autres, dans des expositions thématiques (BD=MC2, Femzine, la Grande Expo Biscoto, Vues du pont…) ou monographiques (Breccia, petites et grandes histoires argentines, etc…). Ce travail de commissariat et de scénographie ouvre sans cesse de nouvelles questions et de nouvelles perspectives…
On peut aussi créer des expositions de bande dessinée hors les livres. Avec AlbertoProd, nous expérimentons une création narrative qui fait appel aux codes de la bande dessinée et mobilise les compétences et habitudes de lecture de bande dessinée que possède chaque visiteur tout en se déployant hors des livres : nous écrivons une bande dessinée qui s’inscrit dans un espace habité par les corps des lecteurs ; des récits dont l’écriture autant que la lecture sont étroitement déterminés par la topographie, les caractéristiques physiques et la nature du lieu ; des récits qui se déploient sur les murs, les sols, les plafonds, voire dans les meubles ou en volume, tout en restant indubitablement des récits de bande dessinée, fondés sur la séquentialité des images.
Et ça donne Murmures aux Archives (Archives nationales, 2020) et En passant par la Défense (La Défense, 2023 : à voir sur le site d’AlbertoProd. Murmures aux Archives est aussi visible en visite virtuelle
Les Corps singuliers dans la bande dessinée a été montrée à la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Poitiers, mais c’est surtout et avant tout une exposition virtuelle, visible ici :
FEMZINE
FEMZINE – La presse BD féministe, c’est une exposition conçue et scénographiée par AlbertoProd, avec les formidables Emilie Fabre et Laura Caraballo. C’était au Pulp Festival 2022 et les images sont là : https://www.albertoprod.fr/femzine
Revues, hebdomadaires, journaux, fanzines, blogs, posts sur les réseaux sociaux… Hier comme aujourd’hui, la presse BD féministe constitue autant une intervention graphique qu’un récit d’éveil. C’est un puissant outil de lutte et d’action immédiate sur le présent !
Au cours des années 1970, les femmes commencent à occuper un terrain dont elles ont toujours été exclues, celui de la bande dessinée. De Ah!Nana à Wimmen’s Comix, elles y propagent les problématiques présentes dans l’agenda féministe de l’époque. Si les activismes du XXIe siècle s’inscrivent dans les luttes historiques de ce féminisme “deuxième vague”, ils se définissent aujourd’hui par la transversalité et l’intersectionnalité.
Cette exposition permet de mesurer la faculté de la BD à rendre compte du réel tout en le déformant. Dans une galerie de formats et de supports aussi riches que variés, le.la visiteur.trice, immergé.e dans une marée de papier, encre et écrans, est invité.e à observer, à lire, à regarder et aussi à créer.
Modes d’Emploi lors du FIBD 2013
Comment montrer dans l’espace ce qui est a priori conçu pour le livre ?
Cette question, je l’ai abordée au travers d’une pratique del’exposition de bande dessinée, de l’organisation à la régie, en passant par le commissariat et la scénographie :
C’est aussi l’objet d’un travail de recherche, mené dans le cadre du Master BD de l’EESI et de l’université de Poitiers (Enjeux et stratégies de l’exposition de bande dessinée, mémoire de recherche soutenu en septembre 2011 devant Thierry Groensteen, Lambert Barthélémy et Jean-Marc Thévenet.
L’objet de ce travail de recherche est de déterminer les enjeux que peut servir une exposition de bande dessinée, de clarifier les objectifs qu’elle vise et de qualifier les stratégies d’exposition (notamment en termes de scénographie et de commissariat) les plus adaptées. Ces questions sont abordées au travers de l’étude d’une matière concrète et vivante :
- des entretiens avec des acteurs impliqués dans des expositions de bande dessinée : Etienne Davodeau, Jochen Gerner, François Schuiten, Jean-Marc Thévenet, Marc-Antoine Mathieu…
- une sélection de 17 expositions couvrant la période de 1967 à nos jours (l’exposition Bande dessinée et figuration narrative présentée au Musée des arts décoratif en 1967 étant considérée comme point de départ de l’histoire de l’exposition de bande dessinée en France). Cette sélection offre une perspective historique tout en concentrant le regard sur la période récente afin d’établir un « état de l’art » le plus représentatif possible.
La première partie (1. Le phénomène des expositions de bande dessinée), s’attache à montrer comment un fait culturel s’est installé depuis 1967. Accompagnant l’essor des festivals, les expositions de bande dessinée ont d’abord été marquées par un style très particulier, qualifié par Jean-Christophe Menu, de « tendance hyperscénographique », qui a connu son apogée au tournant des années 90, avec l’exposition Opéra Bulles, tendance qui reste encore vive aujourd’hui. Nous verrons que dans les mêmes années, les progrès de la reconnaissance de la bande dessinée comme art officiel, accompagnés de l’affirmation de leurs goûts par certains amateurs occupant des positions sociales élevées, ont ouvert les portes des institutions culturelles, conduisant l’exposition de bande dessinée vers de nouveaux territoires, jusqu’à la friction avec l’art contemporain sur des scènes très pointues.
Afin d’étudier les différents projets d’exposition représentés dans le corpus étudiés, il a été nécessaire de définir un certain nombre de concepts et de forger quelques outils d’analyse : dans la deuxième partie de ce mémoire (2. Les objets exposés, typologie et valeurs), nous établissons une typologie des objets d’exposition permettant d’interroger et de qualifier les différentes fonctions qu’ils peuvent remplir dans le cadre d’une exposition ou, plus précisément, les valeurs qu’il porte.
Ces bases méthodologiques nous permettent d’aborder dans une troisième partie (3. Les enjeux de l’exposition de bande dessinée) l’étude des enjeux associés à une exposition de bande dessinée et surtout, l’analyse des stratégies susceptibles de servir ces enjeux. Nous mettons à jour 3 trois types d’enjeux :
- L’enjeu didactique correspond à l’intention de partager un savoir avec le public et d’enrichir une expérience de (re-)lecture à venir. il accepte des stratégies fondées sur l’approche sensible, aussi bien que sur l’approche scientifique
- L’enjeu documentaire mise sur la faculté de la bande dessinée à rendre compte de la réalité. Il appelle conditions d’expositions particulières.
- L’enjeu esthétique correspond quant à lui au désir d’offrir au visiteur une expérience esthétique distincte de l’expérience de lecture. Nous examinons trois stratégies mises en œuvre à cet effet : l’extrapolation, qui consiste à magnifier une facette de l’œuvre de bande dessinée en comptant sur sa capacité à provoquer seule une émotion ; la confrontation, qui mise sur l’effet de révélation que peut produire la juxtaposition de la bande dessinée avec une autre forme d’art ; et enfin la création, qui mobilise le talent de l’auteur dans un geste créatif nouveau et dédié aux conditions de l’exposition. Nous citons à cet égard les travaux de plusieurs artistes proposant des oeuvres de bande dessinée conçues pour l’exposition. Ces propositions sont les fruits d’artistes curieux, engagés, ouverts à d’autres formes, et capables de se départir des contraintes du classicisme sans pour autant perdre la maîtrise de leur art, l’art de raconter par l’image.
En rendant possible une bande dessinée « hors les livres », les expositions ont certainement contribué à ouvrir des perspectives rafraichissantes à l’ensemble de la bande dessinée.
Ce mémoire est lisible sur le site de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image
(certains des entretiens retranscrits dans les annexes ont donné lieu à une relecture et une réécriture avec les personnes intéressées. Ces versions, validées par les interviewés figure sur le site du9.org)